Refus de soins : les patients bénéficiaires de l’AME discriminés dans l’obtention d’un rendez-vous médical

, par  Constance Perin

Tous les patients ne sont pas égaux dans la prise de rendez-vous médical. C’est ce que révèle un rapport réalisé par l’Institut des politiques publiques. Alors que de façon générale, il apparaît difficile d’obtenir un rendez-vous, les bénéficiaires de l’aide médicale de l’État (AME) font face à davantage de refus de la part d’un praticien.

Les bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (CSS) et de l’aide médicale de l’État (AME) sont-ils discriminés dans la prise de rendez-vous médical ? C’est principalement à cette question qu’a voulu répondre l’Institut des politiques publiques. Dans son rapport réalisé pour le compte de la Direction de la recherche, de l’évaluation, des études et des statistiques (Drees), de la Direction de la Sécurité sociale (DSS) et du Défenseur des droits, ce dernier constate que les bénéficiaires de l’AME sont sujets à davantage de refus de la part des praticiens. Un obstacle en plus dans l’accès au soin chez un public déjà en situation de précarité.

Une prise de rendez-vous souvent difficile

Pour mener à bien cette recherche, un testing téléphonique de plus de 34 000 appels a été réalisé entre mars et septembre 2022 auprès de plus de 3 000 praticiens. L’appel concernait un rendez-vous pour un motif sans caractère d’urgence avec un généraliste, un ophtalmologue ou un pédiatre. Il convenait de mesurer la discrimination à travers deux indicateurs : le taux d’obtention d’un rendez-vous médical et le délai entre l’appel et la date rendez-vous, et ce pour trois profils de patients fictifs : les bénéficiaires de la CSS, ceux de l’AME et des « patients de référence », c’est-à-dire ne recevant aucune de ces deux aides.
De façon générale, l’étude montre un taux de refus de rendez-vous médicaux élevé, et pour tous les profils : « un patient a moins d’une chance sur deux d’obtenir un rendez-vous quand il contacte un médecin généraliste ou un pédiatre, et près de deux chances sur trois pour un ophtalmologue », indiquent les auteurs de l’étude. Quatre appels sont en moyenne nécessaires pour parvenir à entrer en contact avec un cabinet médical. Là où, chez un médecin généraliste, il faut compter en moyenne 8 jours entre l’appel et le rendez-vous, le délai passe à 25 jours chez un pédiatre, et même à plus de 55 jours chez un ophtalmologue.

Les bénéficiaires de l’AME davantage sujets aux refus de soins

Dans ce contexte déjà difficile, les bénéficiaires de l’AME rencontrent plus de difficultés à obtenir un rendez-vous : «  Ils ont entre 14 et 36 % de chances en moins d’avoir un rendez-vous chez le généraliste par rapport aux patients de référence, entre 19 et 37 % de chances en moins chez l’ophtalmologue, et entre 5 et 27 % chez le pédiatre. Cette discrimination représente entre 10 et 11 points de pourcentage pour les trois spécialités considérées.  » En outre, près d’un refus de rendez-vous sur dix opposé aux bénéficiaires de l’AME est explicitement discriminatoire, « alors même que cela constitue une infraction », rappelle l’Institut des politiques publiques.
Du côté des bénéficiaires de la CSS, ces derniers ont globalement les mêmes chances d’obtenir un rendez-vous médical que les patients de référence. Ils font néanmoins face à des refus discriminatoires formulés de façon explicite dans 1 à 1,5 % des cas.

Des préjugés encore tenaces chez les praticiens

Pour expliquer ces discriminations à l’égard des bénéficiaires de l’AME, le rapport met en évidence deux préjugés majeurs encore ancrés chez les praticiens : d’abord, la crainte selon laquelle « la prise en charge de ces patients serait plus complexe (patients en moins bonne santé, ne maîtrisant pas ou peu le français, consultations plus longues…) ; ensuite celle « d’une prise en charge ou de démarches administratives plus complexes  ».
Ce dernier frein a été levé vis-à-vis de la CSS. Puisque, «  la fusion de la CMU-C et de l’ACS dans la CSS en novembre 2019 et l’extension de la pratique du tiers payant semblent en revanche avoir permis une simplification de la gestion de la prestation pour les professionnels de santé et participent ainsi à la diminution des refus de soins opposés aux bénéficiaires de la CSS  », révèle le rapport.

Les médecins sont-ils autorisés à refuser un rendez-vous ?

Selon le Code de santé publique, « hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles ». Or, « on parle de refus de soins discriminatoire lorsqu’un professionnel de santé refuse de recevoir ou traite moins bien un patient du fait de l’un de ces critères, ou parce qu’il est bénéficiaire d’une prestation comme la complémentaire santé solidaire (CSS) ou l’aide médicale de l’État (AME)  », précise l’Institut des politiques publiques dans sa synthèse.
« Ces refus de soins illégaux, manifestes ou déguisés, contreviennent de manière évidente aux dispositions législatives garantissant un accès universel aux soins à des publics fragilisés ou précaires, de même qu’à l’intérêt général en matière de santé publique, puisqu’ils nuisent aux mesures de prévention et de détection précoce des pathologies ainsi qu’à leur traitement  », regrettent les auteurs du rapport.

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