Si se laver les mains est aujourd’hui un geste « barrière » bien ancré contre les virus, cela n’a pas toujours été le cas dans l’histoire.
C’est une évidence : se laver les mains joue un rôle essentiel dans la prévention des infections. Et pourtant, ce geste d’hygiène que chacun a intégré à son quotidien, notamment dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19, est relativement récent. Avant que l’on connaisse précisément l’origine des pathologies humaines, plusieurs théories se sont succédé pour expliquer leur apparition et leur diffusion : elles proviendraient d’un air vicié ou encore d’un trouble des humeurs. On était donc encore loin de penser que se laver les mains puisse avoir une quelconque utilité.
Au cœur du XVIIIe siècle, en France, un chirurgien lyonnais, Claude Pouteau, estime que ces interprétations ne sont pas pertinentes. Face à ses patients présentant un risque élevé de développer la gangrène, il cherche des solutions. En tâtonnant, il finit par comprendre que les pansements, utilisés plusieurs fois et passant d’un malade à l’autre, propagent l’infection. Il recommande alors de ne plus utiliser de linge contaminé pour confectionner des pansements et exige de ses médecins un lavage de mains régulier. Malgré leur intérêt, ces bonnes pratiques vont disparaître avec le chirurgien.
La découverte de l’asepsie
Un siècle plus tard, en 1846, un médecin hongrois, Ignace Semmelweis, travaille à l’hôpital de Vienne, en Autriche. L’établissement dispose de deux maternités. Dans la première, celle du professeur Bartsch où des sages-femmes officient, 2 % à 3 % des femmes meurent en couche. Dans la seconde, celle du professeur Klein où les étudiants en médecine pratiquent les accouchements, 10 % à 30 % des femmes décèdent de la fièvre puerpérale, une maladie infectieuse liée à un streptocoque. Intrigué par cette différence, le docteur Semmelweis en cherche la raison. Il se rend compte que les étudiants en médecine officiant auprès des femmes pratiquent également des autopsies, et il en déduit que ce sont eux qui transportent les germes de la maladie des cadavres vers la salle d’accouchement. Sans connaître le mécanisme précis de la contamination, il décide, pour y remédier, d’utiliser une solution de chlorure de chaux pour se laver les mains. Ignace Semmelweis impose cette procédure aux médecins et aux étudiants de l’hôpital. Et les résultats ne se font pas attendre : dans le mois qui suit, la mortalité due à la fièvre puerpérale chute fortement. Il vient de découvrir l’asepsie.
De la théorie à la preuve scientifique
Mais la trouvaille du docteur Semmelweis fait de nombreux mécontents. Ses confrères lui reprochent son caractère autoritaire et méprisant. Il finit par être renvoyé de l’hôpital de Vienne et part exercer à Budapest. Il va ensuite essayer de diffuser sa méthode dans divers pays d’Europe, sans pour autant réussir à convaincre. Isolé, le médecin termine sa vie en asile psychiatrique. Ironie du sort, il meurt d’une infection en 1865 et tombe dans l’oubli.
Il faudra attendre les travaux de Louis Pasteur quelques années plus tard pour comprendre l’action infectieuse des microbes. Une fois le lien entre infection et hygiène prouvé, le lavage des mains est à nouveau promu dans le milieu médical. En quelques décennies, ce geste fera son entrée dans les foyers et sera utilisé au quotidien pour se protéger des différentes pathologies. À partir de 1924, le nom de Semmelweis est réhabilité grâce à un médecin qui lui consacre sa thèse de doctorat, intitulée La vie et l’œuvre de Philippe Ignace Semmelweis (1818-1865). Son auteur n’est autre que le docteur Louis Destouches, plus connu sous le nom de plume Louis-Ferdinand Céline.
© C i E M / Benoît Saint-Sever