Invention de la chimiothérapie : quand un poison devient traitement

Retracer le développement de la chimiothérapie signifie partir à la découverte de substances considérées au départ comme des poisons et devenues des alliées dans la lutte contre
le cancer. Après plus d’un siècle de recherches, ces médicaments sont aujourd’hui capables de circuler dans l’organisme et d’agir sur les cellules cancéreuses.

Années 1900 : Paul Ehrlich, le père de la chimiothérapie

Paul Ehrlich, scientifique allemand lauréat du Prix Nobel de médecine en 1908, est considéré comme l’inventeur de la chimiothérapie, même si l’on ne parle pas encore de soigner les cancers. 

Grâce à lui, pour la première fois, les malades ne sont pas traités avec des plantes mais avec la chimie.

Tout commence par le plus connu des poisons : l’arsenic. Après plus de 600 tentatives, Paul Ehrlich parvient à créer un dérivé de cette substance naturelle et toxique, qu’il appelle atoxyl. 

Il fabrique ensuite un médicament, le Salvarsan, qui lui permet de guérir la syphilis – une maladie vénérienne très contagieuse, due à une bactérie, qui faisait des ravages au début du XXe siècle. Même si celui-ci sera par la suite délaissé au profit de traitements plus efficaces, les médicaments de synthèse, issus de la chimie, sont nés.

Années 1940
Alfred Gilman, Louis Goodman et le gaz moutarde

En pleine Seconde Guerre mondiale, un autre poison, le gaz moutarde, va faire avancer la science.
En 1943, en Italie, un navire américain chargé de ce gaz explose. Deux chercheurs américains, Alfred Gilman et Louis Goodman, examinent les soldats qui ont survécu et découvrent que les globules blancs des blessés ont été quasiment éliminés. Ils ont alors l’idée d’utiliser cette propriété pour détruire les globules blancs malades qui apparaissent avec certaines pathologies. Ils créent pour cela un dérivé du gaz moutarde : le Melphalan.
Cette molécule est encore aujourd’hui utilisée pour traiter certains cancers du sang (le myélome, par exemple). Cette découverte marque le début de la chimiothérapie anticancéreuse à proprement parler.

Années 1950 
Sidney Farber et Jane Cooke Wright, les pionniers

Sidney Farber, pathologiste de l’université de Harvard, s’est intéressé à l’acide folique, une vitamine qui joue un rôle clé dans le métabolisme de l’ADN. En effectuant ses recherches, il trouve que le méthotrexate, un antagoniste de l’acide folique – qui interfère avec son action –, peut limiter la croissance exponentielle des cellules leucémiques, offrant ainsi une rémission mais sans pour autant guérir. L’américaine Jane Wright a révélé, quant à elle, que le méthotrexate agissait aussi sur les tumeurs solides.
Elle a ensuite été la pionnière des travaux en chimiothérapie : en utilisant plusieurs médicaments, elle a augmenté leur efficacité tout en minimisant les effets secondaires.

Années 2000
Quatre types de molécules disponibles

Au début du XXIe siècle, les médecins peuvent s’appuyer sur quatre grandes classes chimiothérapeutiques pour détruire les cellules cancéreuses ou les empêcher de se multiplier :

• les alkylants et les sels de platine entravent les processus de réplication et de transcription de l’ADN des cellules ;

• les inhibiteurs de topo-isomérases qui perturbent le fonctionnement d’enzymes essentielles à la réplication du matériel génétique des cellules avant leur division ;

• les antimétabolites qui inhibent la synthèse des acides nucléiques, constituants de l’ADN et indispensables dans les premières étapes de la division cellulaire ;

• les poisons du fuseau qui bloquent la formation de la structure qui permet aux chromosomes de se séparer lors de la division cellulaire.

Années 2010
La révolution des thérapies ciblées

Grâce à une meilleure compréhension des mécanismes de fonctionnement des cellules tumorales, des traitements plus efficaces et moins toxiques sont utilisés. Ces thérapies ciblées entrent en action à un niveau très précis du développement de la cellule cancéreuse et s’adaptent à chaque patient. L’objectif n’est plus seulement de s’attaquer aux cellules malades mais de freiner la croissance de la tumeur.
Si les thérapies ciblées ont été créées dans les années 1990, c’est à partir des années 2010 qu’on les considère véritablement comme révolutionnaires.

Et maintenant ?

La chimiothérapie engendre aujourd’hui encore des effets secondaires que les scientifiques cherchent à faire diminuer, voire disparaître. Leur objectif est donc de développer des traitements actifs, spécifiques aux cellules cancéreuses, qui permettent de réduire la  toxicité sur les cellules saines de l’organisme.

© C i E M / Benoît Saint-Sever

Le cancer : une maladie de la cellule

Un cancer touche la cellule. Malade, celle-ci se modifie, se multiplie et finit par former une tumeur. Les cellules cancéreuses ont tendance à migrer dans d’autres parties du corps via les vaisseaux lymphatiques ou sanguins. Elles développent alors d’autres masses, des métastases. Plusieurs types de traitements existent : la chimiothérapie bien sûr, mais également la chirurgie, la radiothérapie (pour détruire les cellules malades), l’hormonothérapie (pour empêcher l’action des hormones qui peuvent stimuler la croissance des cellules cancéreuses) et l’immunothérapie (pour stimuler les défenses immunitaires pour qu’elles luttent contre les cellules malades).

Le monde végétal comme source d’inspiration

Grâce aux plantes, les scientifiques ont mis au jour de nouveaux principes actifs qui ont permis d’ouvrir les perspectives thérapeutiques. Voici quelques exemples.

Catharanthus roseus, la pervenche tropicale de Madagascar. Elle contient deux principes actifs la vinblastine et la vincristine qui provoquent une chute du nombre des globules blancs, utiles pour traiter une leucémie. Ces deux molécules ont été isolées en 1957 avant d’être synthétisées – c’est-à-dire reproduite chimiquement – en 1979.

• Taxus brevifolia et Taxus baccata, l’if du Pacifique et l’if d’Europe. Dans les années 1960, les scientifiques mettent en évidence l’activité anticancéreuse d’un principe actif, le paclitaxel, contenu dans l’extrait d’écorces de l’if du Pacifique. Mais cette molécule n’est pas reproductible en laboratoire et son extraction est un casse-tête environnemental puisqu’elle nécessite de couper des arbres à la croissance lente. Des chercheurs découvrent alors que les aiguilles de l’if d’Europe – une ressource, cette fois-ci, renouvelable chaque année – contiennent également cette substance et trouvent même un composé proche et plus efficace, le docetaxel. Au début des années 1990, ils seront utilisés pour soigner certaines formes de cancer du sein et de l’ovaire.

Camptoteca acuminata, un arbre originaire de Chine. Un extrait, créé à partir de son écorce et de son bois, permet de lutter contre les tumeurs cancéreuses. Le principe actif, la camptothécine, est isolé en 1966 et son mécanisme d’action est identifié en 1985. Sa version synthétique sera utilisée à partir de la fin des années 1990 pour traiter les cancers du côlon, de l’ovaire et du sein.



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