Près de neuf personnes sur dix souhaitent vieillir chez elles le plus longtemps possible. Le maintien à domicile, encouragé par les pouvoirs publics, permet le plus souvent de conserver l’autonomie et de retarder la dépendance. Il est aujourd’hui possible par la mise en place de plusieurs aides, à la fois matérielles et humaines. Mais, même s’ils ont le mérite d’exister, ces dispositifs manquent de lisibilité. On fait le point pour vous.
Une chose est sûre : Louise, 82 ans, ne changera pas d’avis. Comme 85 % des Français, cette ancienne institutrice prévoit de vieillir chez elle. « J’ai tous mes repères dans mon appartement, explique la vieille dame. C’est là que j’ai élevé mes enfants et que se trouvent tous mes souvenirs ». La maison de retraite, Louise ne veut même pas en entendre parler. « Ici, je fais ce que je veux quand je veux, personne n’organise mes journées à ma place. Je n’abandonnerais ma liberté pour rien au monde ! », clame-t-elle. Comme le souligne le rapport Libault remis en mars 2019 au ministère de la Santé, cette volonté farouche de passer ses vieux jours chez soi montre à quel point le modèle du placement en institution paraît aujourd’hui à bout de souffle. D’autant qu’à elles seules, les structures d’accueil telles que les maisons de retraite ou les Ehpad ne suffiront pas à répondre à l’enjeu démographique.
Maintien du lien social
Pour faire face à ce phénomène, les pouvoirs publics privilégient désormais le maintien à domicile le plus longtemps possible. Vieillir chez soi dans de bonnes conditions « favorise la réponse aux besoins fondamentaux » des personnes âgées, expliquait, dès 2015, l’Institut Montaigne dans un rapport sur la question. En demeurant dans un environnement familier, les seniors « restent à proximité de leur tissu social habituel, souvent entretenu depuis de longues années : les amis, les voisins, les commerçants et parfois la famille », explique le professeur Marc Verny, neurologue, responsable du centre de gériatrie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Lorsque les mesures sanitaires anti-Covid s’allègent, ils peuvent aussi poursuivre les activités qui leur permettent de rester intégrés à la société : bénévolat, universités du troisième âge, associations sportives et culturelles… « Toute cette dimension sociale participe clairement au maintien de l’autonomie, ajoute le professeur. Cela permet en particulier de prévenir le déclin du fonctionnement cognitif, qui est la première cause de dépendance chez la population âgée. » Le maintien à domicile n’est bien sûr possible que si la personne n’est pas isolée et que son état de santé le permet.
Bien dans son corps, bien dans sa tête
Pour vieillir dans les meilleures conditions possible, les seniors doivent régulièrement effectuer les bilans de santé recommandés : contrôle de l’état dentaire, du taux de cholestérol, de la vue, dépistage de maladies cardiovasculaires, des cancers du sein ou du côlon… Si vous êtes concerné, n’oubliez pas de vous faire vacciner chaque année contre la grippe saisonnière et contre le Covid-19. Le maintien d’une activité physique est en outre fondamental : le sport apporte plus de tonus musculaire, une meilleure mobilité articulaire, entretient le moral et prévient, lui aussi, le déclin cognitif. Bien évidemment, l’activité doit être adaptée aux possibilités de chacun, choisie avec le médecin traitant et doit s’accompagner d’une alimentation équilibrée.
Enfin, sachez que pour rester alerte, votre cerveau doit être stimulé par des exercices comme la lecture, les mots croisés, les jeux de société et de l’esprit. Pensez aussi à la méditation : plusieurs études ont montré que sa pratique régulière permettait de retarder le vieillissement cérébral.
Gare aux chutes
Face à la perte d’autonomie, le maintien à domicile doit souvent s’accompagner de plusieurs aménagements destinés à améliorer la sécurité des seniors. Premier objectif : éviter la chute. « Elle fait courir un risque majeur de perte d’autonomie et de désinsertion sociale, avec pour conséquence éventuelle l’institutionnalisation », note la Haute Autorité de santé (HAS). Pour éviter cela, l’adaptation du lieu de vie est indispensable. Il faudra ainsi veiller à ôter les objets ou les meubles gênants des espaces de circulation, et à fixer câbles et fils électriques. Attention également aux sols glissants, aux descentes de lit, aux tapis à bords relevés ou de bain. La mise en place de rampes et de barres d’appui (dans la baignoire ou dans les toilettes) peut s’avérer utile. « Pour les personnes qui ont des difficultés plus marquées, il y a tous les systèmes de téléalarme, précise le professeur Verny. En cas de chute avec une impossibilité de se relever, ils permettent de prévenir les proches ou un central dédié. »
L’accompagnement à domicile
Les services d’aide à domicile proposent un accompagnement adapté à chaque personne âgée en fonction de ses besoins. Ils regroupent différents soutiens : l’aide à la personne (pour se lever, se laver, s’habiller, se coucher), l’aide aux tâches de la vie quotidienne (installation de la téléassistance, travaux ménagers, courses, préparation des repas) et l’aide aux activités sociales (démarches administratives, visites chez le médecin, accompagnement pour les loisirs). Pour les obtenir, vous pouvez recourir à l’emploi direct (vous employez vous-même la personne de votre choix), faire appel à un organisme mandataire (vous restez l’employeur de l’aide à domicile mais le mandataire gère l’ensemble des démarches administratives) ou recourir à un prestataire (ici, l’organisme, habilité par le conseil départemental, a le statut de service médico-social et salarie l’intervenant). Pour y voir plus clair, vous pouvez vous adresser au centre local d’information et de coordination gérontologique (Clic) de votre département ou à votre centre communal d’action sociale (CCAS). Ces services vous aideront à trouver l’aide la mieux adaptée.
L’Apa, une aide pour bien vieillir chez soi
Quelle que soit la formule retenue, les seniors peuvent bénéficier de différentes aides pour financer le recours à une aide à domicile ou l’aménagement de leur habitat, telle l’allocation personnalisée d’autonomie (Apa), financée par les départements et réservée aux personnes âgées de plus de 60 ans en perte d’autonomie. Pour bénéficier de cette aide, vous pouvez retirer un dossier auprès du conseil départemental, du CCAS, du Clic, des services d’aide à domicile, des organismes de sécurité sociale ou des mutuelles. Une équipe médico-sociale se rendra ensuite chez vous pour évaluer vos besoins, puis établir un plan d’accompagnement personnalisé. Pensez aussi aux caisses de retraite. Elles versent l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) destinée aux retraités ayant de faibles revenus et peuvent participer au financement d’aides techniques. Comme certaines mutuelles, elles proposent aussi du conseil personnalisé pour bien vivre sa retraite. De même, le département peut, sous condition de ressources, financer une partie de l’aide à domicile.
Le rôle fondamental des aidants
Même si le reste à charge est moins élevé qu’en établissement (1 850 euros par mois en moyenne, d’après le rapport Libault), celui des personnes âgées maintenues à domicile est encore trop important pour de nombreuses familles (de 584 à 1 836 euros mensuels, selon le baromètre Retraite.com-Silver Alliance de décembre 2020). Les aidants prennent alors toute leur importance. Par nécessité ou par choix, 11 millions de personnes en France viennent en aide à un proche handicapé, malade ou âgé. C’est la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement qui donne, pour la première fois en 2015, un statut officiel à ces soutiens indispensables. Après des années de mobilisation des associations, cette même loi accorde aux aidants un droit au répit pour leur permettre de se reposer. Ils peuvent désormais accéder à des aides qui participent au financement de l’accueil de la personne aidée dans une structure de jour ou de nuit, un hébergement temporaire en établissement ou un relais à domicile, le temps de récupérer.
Manque de lisibilité
On le voit, même s’ils ont le mérite d’exister, ces dispositifs d’accompagnement manquent clairement de lisibilité. « Les lieux qui permettent d’accéder à une information fiable et de bénéficier d’un accompagnement efficace dans les démarches, comme les maisons des aidants ou les maisons des aînés, sont encore insuffisants et relativement méconnus », constate le professeur Verny. Pour le rapport Libault, « l’offre de prises en charge doit être réorganisée, les prestations rendues plus lisibles, et les réponses apportées moins cloisonnées, en prenant mieux en compte les besoins des personnes ». Malheureusement, la loi Grand âge et autonomie qui devait s’inspirer de ce rapport tarde à voir le jour. Sa rédaction serait toutefois en cours. Mais, Covid oblige, aucun calendrier n’est encore fixé. Pourtant, les attentes sont grandes : de la part des personnes âgées, de leurs familles, mais aussi des professionnels, qui réclament depuis des années une revalorisation de leurs métiers. « C’est désormais d’une décision politique que nous avons besoin », ont prévenu, le 18 janvier, quatre fédérations associatives (ADRM, Adédom, FNAAFP/CSF et UNA). « Comment imaginer que l’on puisse attendre que la crise sanitaire soit réglée pour s’attaquer au défi du grand âge ?Déjà aujourd’hui, faute de personnel et de moyensfinanciers, il est impossible d’honorertoutes les demandes d’accompagnement des personnes âgées ou en situation de handicap », déplorent-elles. À côté de l’urgence sanitaire, celle de la réforme ne peut décidément plus être négligée.
© Delphine Delarue
Trois questions à Marie de Hennezel, psychologue clinicienne
1. Bien vieillir, qu’est-ce que ça veut dire ?
Bien vieillir, c’est d’abord accepter de vieillir. Cela veut dire accepter les changements physiques qui sont inéluctables, accepter de ne plus pouvoir faire les choses que l’on faisait quand on était jeune. C’est surtout une question d’état d’esprit. Et en même temps, c’est aussi comprendre le paradoxe du vieillissement. Le corps vieillit, certes, mais la pensée peut rester jeune. On le voit très bien chez certaines personnes très âgées, radieuses, qui véhiculent cette image idéale du vieillissement : l’ouverture d’esprit, la bienveillance, l’énergie, l’humour. On retrouve cela dans leur regard et leur sourire. C’est bien la jeunesse du cœur qui reste, le goût de vivre, la beauté intérieure.
2. Comment faire pour rester jeune dans son cœur ?
Je pense qu’il faut tout d’abord cultiver sa curiosité. Les personnes âgées épanouies sont curieuses de tout, elles continuent à apprendre de nouvelles choses, font ce qu’elles n’ont pas pu faire avant faute de temps. J’aime beaucoup ces mots de Victor Hugo : « Mon corps décline, ma pensée croît. Dans ma vieillesse, il y a une éclosion ! » L’éclosion, c’est s’ouvrir au nouveau, à de nouvelles activités, à de nouvelles émotions. Lorsque l’on vieillit, on est davantage dans l’instant présent et on remarque des choses que l’on ne voyait pas avant. On peut alors s’émerveiller de tout et éprouver une quantité de petits plaisirs qui font que, finalement, la vieillesse est un temps dans lequel on peut être tout à fait heureux.
3. Quels conseils peut-on donner aux seniors qui ont été affectés par la crise sanitaire ?
La période que l’on traverse ne favorise pas le lien social, qui est pourtant essentiel, et les personnes âgées en souffrent beaucoup. Il faut utiliser tous les moyens possibles pour maintenir ce contact. On peut s’écrire, se téléphoner. On constate d’ailleurs que les conversations téléphoniques des personnes âgées avec leurs enfants sont plus longues et approfondies. Surtout avec les petits-enfants, d’ailleurs. Ils ont peur pour leurs grands-parents et ont envie de mieux les connaître. Finalement, d’une certaine manière, les liens se sont resserrés. C’est un effet positif de cette crise, si j’ose dire.
La Mutualité française expérimente un dispositif de soutien renforcé à domicile
En septembre 2020, la Mutualité française, la Croix-Rouge et l’Hospitalité Saint-Thomas de Villeneuve ont lancé une expérimentation nationale destinée à soutenir le maintien à domicile des seniors. « L’objectif est de simplifier l’accès à un dispositif coordonné et centré autour de la personne âgée », précise la Mutualité française. Chacune des actions menées est pilotée par un porteur de projet (services de soins infirmiers à domicile, Ehpad, services de soins d’accompagnement à domicile) et la personne suivie bénéficie d’un interlocuteur unique. L’accompagnement repose sur une évaluation de la situation de la personne et de ses aidants. Les actions prennent ensuite plusieurs formes : aide à la vie quotidienne, nursing, accès à des activités collectives d’animation et de prévention… Menée sur trois ans, cette expérimentation devrait concerner 580 personnes âgées au total.