La Direction des études, de la recherche, de l’évaluation et de la statistique (Drees) alerte sur la hausse spectaculaire du nombre d’hospitalisations pour automutilations et tentatives de suicide chez les femmes de moins de 25 ans.
À l’occasion de la Journée nationale de prévention du suicide du 5 février, la Drees, en coopération avec l’Observatoire national du suicide (ONS), a publié une actualisation de son étude sur les « gestes auto-infligés », qu’il s’agisse de mutilations ou de tentatives de suicides. Si le nombre d’entrées aux urgences pour ces motifs est en décroissance pour l’ensemble des tranches d’âge entre 24 et 59 ans, la courbe augmente brutalement chez les adolescentes et jeunes femmes en 2022.
Une augmentation des hospitalisations
Par rapport à la période 2015-2019, le nombre de jeunes filles hospitalisées pour un « geste auto-infligé » a ainsi augmenté de 63 % chez les 10-14 ans, de 42 % chez les 15-19 ans et de 32 % chez les 20-24 ans. Une tendance inquiétante et loin d’être anodine, puisque le phénomène des automutilations et tentatives de suicides atteint un niveau inédit chez les hommes et les femmes de moins de 25 ans, avec une hausse de 25 % par rapport à la période pré-Covid. « Cela s’explique par une forte progression d’hospitalisations de patientes âgées de 10 à 24 ans, et, dans une moindre mesure, de jeunes patients hommes âgés de 10 à 24 ans », estime le rapport. « Des tendances à la hausse qui préexistaient à la crise sanitaire et qui paraissent avoir été accélérées par celle-ci », indiquent par ailleurs les auteurs de l’étude.
Explications multiples
Les conséquences de la crise du Covid-19 et des confinements sur la santé mentale des jeunes ne sont pas la seule explication. « L’évolution du certificat de décès et des remontées d’information ont permis, à partir de 2018, une meilleure comptabilisation des décès par suicide, explique la Drees. Ces évolutions méthodologiques exercent, au cours des années suivantes, un effet conduisant à une hausse du nombre de suicides recensés sans qu’on ne puisse conclure – à ce jour – à l’interruption de la tendance historique à la baisse des décès par suicide observée depuis le milieu des années 1980. »
La santé mentale des adolescents et étudiants a été étudiée de près ces dernières années et notamment durant toute la crise sanitaire. Dans un précédent rapport, paru en septembre 2022 et portant sur la période où les mesures sanitaires étaient les plus coercitives, la Drees notait d’abord une baisse généralisée des tentatives de suicide et des gestes auto-infligés lors du premier confinement. Cela s’expliquait par « le sentiment de partage d’une épreuve collective, le moindre accès à certains moyens létaux, une surveillance accrue par les proches et une grande adaptation du système de soins psychiatriques ».
Selon le même rapport, la tendance s’est ensuite inversée à partir du second semestre 2020, et ne s’est depuis jamais démentie. La Drees évoquait alors un « fait nouveau » et mettait en avant « une hausse très marquée des gestes suicidaires chez les adolescentes et les jeunes femmes ». « Ce phénomène a perduré au moins jusqu’au premier semestre 2022 », a-t-elle précisé.
Une histoire de genre ?
Les détails du rapport confirment des tendances générales observées depuis des décennies, que la crise sanitaire n’a fait qu’amplifier. Ainsi, sur les près de 76 000 personnes de plus de 10 ans ayant été admises à l’hôpital pour des actes d’automutilations en 2021, 64 % étaient des femmes.
Outre le genre, les chercheurs mettaient par ailleurs en exergue la « forte différenciation sociale du risque suicidaire » puisque « pour tous les niveaux de vie, les femmes sont particulièrement vulnérables entre 15 et 19 ans, mais plus particulièrement pour celles appartenant aux 25 % des ménages les plus modestes ».
Dix ans plus tôt, bien avant la crise sanitaire, le suicide était déjà la deuxième cause de mortalité chez les jeunes. Un adolescent sur dix avait eu des pensées suicidaires au cours des douze derniers mois selon un premier rapport du ministère de la Santé. Et 13 % des lycéennes déclaraient avoir fait une tentative de suicide au cours de leur vie, contre 5 % des lycéens. « Les filles sont davantage concernées par les tentatives de suicide et les pensées suicidaires que les garçons, ce qui est retrouvé dans toutes les données de la littérature internationale », précisait un rapport publié en 2016. Si les femmes penchent plutôt vers des actes d’automutilations, le passage à l’acte suicidaire reste quant à lui une affaire d’hommes. Ainsi, sur les 8 951 personnes, tous âges confondus, ayant mis fin à leur jour en France en 2021, 6 752 étaient des hommes et 2199 des femmes.
© C i E M / Mathieu Yerle