Bruno Fron est un de ces médecins d’autrefois qui place l’humain au centre de son activité. Généraliste à Paris depuis 40 ans, il vient de publier Toute une vie pour eux (L’Iconoclaste), un ouvrage dans lequel il se confie sur sa vie de médecin de famille. Il y partage des moments avec ses patients, des rencontres précieuses qui continuent de l’animer.
Dans votre livre, vous défendez une médecine incarnée. Comment décrieriez-vous votre façon d’exercer ?
J’ai toujours exercé comme il me semblait normal de le faire, en étant profondément présent. La médecine m’intéresse, mais dans ce domaine, nous sommes vite confrontés à nos limites. C’est surtout l’inattendu de la rencontre qui m’anime et me nourrit. Certains collègues sont lassés, démotivés, j’ai de mon côté la chance d’avoir plaisir à aller travailler tous les matins.
Avez-vous constaté une évolution dans l’exercice de votre fonction ?
Indéniablement. Nous sommes aujourd’hui dans une accélération absolue et une multiplication des tâches. Il y a aussi la notion de responsabilité qui s’est accentuée. J’écris désormais tout pour répondre à l’obligation de traçabilité, et ne reçois plus un mineur de moins de 16 ans seul. Je constate aussi une angoisse grandissante chez les patients, notamment face au cumul des données. L’époque a changé, tout est à réinventer.
Justement, que faudrait-il mettre en place, selon vous, pour retrouver cette humanité que vous défendez ?
Plus qu’une question de temps, tout est une question de présence. J’ai vu 30 personnes par jour pendant 40 ans, et même rapidement, on peut plonger dans la réalité du patient.
On a également tendance à considérer que le progrès technique est la solution. Bien que fascinant, la médecine reste avant tout une relation entre êtres humains. Au cours d’un échange, j’attrape des informations via un regard, une attitude, et de simples mots suffisent parfois et réparer les maux. La télémédecine est utile, mais elle n’est pas la solution car rien ne remplacera le présentiel.
Il y a aussi le problème des visites. La nouvelle génération de médecins ne veut plus se déplacer, mais cela reste pourtant nécessaire, notamment face à une population vieillissante. Les infirmiers sont sur place, et je défends l’idée de l’infirmier « augmenté », qui est d’ailleurs déjà une réalité. Les maisons médicales sont aussi une bonne idée, mais à condition que les médecins s’engagent à établir une continuité et à créer un lieu intime. Au cabinet, je le vois, les patients sont chez eux, et grâce à nos conseils et à la relation de confiance établie, ils sont prêts à s’engager dans un processus médical lourd qui les dépasse. Nous sommes des médecins de proximité et de disponibilité, et il faut maintenir ce concept d’humanité.
Vous dites que vous n’étiez pas prédisposé à la médecine. Auriez-vous pu exercer un autre métier ?
Plus que le métier, c’est la prédisposition d’esprit qui compte. J’aurais pu exercer une autre profession, à condition que la rencontre soit là. Même s’il est vrai qu’à ce niveau, le terrain est privilégié : où avons-nous la chance de rencontrer des gens aussi diversifiés dans des moments de telle vérité ? C’est précieux, alors faisons en sorte d’injecter ce petit bout de chromosome humain dans les algorithmes de la médecine de demain.
Propos recueillis par Constance Périn / © C i E M
Pour en savoir plus :
Toute une vie pour eux, du docteur Bruno Fron, Éditions l’Iconoclaste, 288 p.