Christian Sardet  : « Les cellules sont les unités élémentaires de la vie » 

Ce biologiste est directeur de recherche émérite du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) au laboratoire BioDev de l’Institut de la mer de Villefranche-sur-Mer (IMEV- Sorbonne Université). Il est cofondateur de la mission Tara Oceans et du projet « Chroniques du plancton », auteur de livres et d’œuvres multimédia.

Après s’être intéressé au plancton dans un précédent ouvrage, Christian Sardet s’attaque cette fois-ci au vaste sujet des cellules. De la cellule ancestrale commune à tout ce qui vit sur terre, aux méduses, aux virus et aux champignons, en passant par les animaux, les plantes et l’homme, tout y est précisément expliqué. Entre art et science, il propose un véritable voyage illustré à la découverte des origines de la vie.

Comment définiriez-vous ce qu’est une cellule ?

Les cellules sont pratiquement toutes formées sur le même modèle : elles sont faites d’une membrane qui définit l’intérieur et l’extérieur, d’un matériel génétique (les chromosomes et l’ADN) qui leur permet de se reproduire et de tout un tas d’autres éléments, des molécules plus ou moins complexes qui assument divers rôles. Il y a deux grandes catégories de cellules.
D’un côté, celles qui protègent leurs chromosomes à l’intérieur d’un noyau – les eucaryotes – et celles qui ne le font pas – les procaryotes – comme les bactéries et les archées. Ces dernières sont d’ailleurs méconnues du grand public. Ce sont des micro-organismes différents des bactéries au niveau de leurs molécules, de leur mécanisme moléculaire et de leur métabolisme. Certaines d’entre elles produisent du méthane, ce que les bactéries sont incapables de faire. À l’inverse, les archées ne pratiquent pas la photosynthèse, ce processus de fabrication de matière organique à partir du gaz carbonique de l’eau grâce à l’énergie lumineuse du soleil. Les cellules sont les unités élémentaires de la vie, les briques élémentaires du vivant. Il n’y a pas de vie sans cellules.

Tout a commencé, il y a plus de 3 milliards d’années avec une seule cellule nommée Luca.

Luca, acronyme de Last Universal Common Ancestor, est la première cellule qui a donné naissance à toutes les autres. C’est un peu l’équivalent du Big Bang pour nous, les biologistes. Tous les scientifiques s’accordent sur le concept de Luca mais il est encore très peu médiatisé. Cette cellule prototype est pourtant à l’origine de tout le vivant.

Comment serait-elle apparue ?

Deux théories existent. Soit elle est apparue sur la planète Terre, probablement au fond des océans, soit elle est venue de l’espace. On peut penser qu’elle serait arrivée via une météorite glacée puis qu’elle aurait trouvé les conditions sur terre pour se développer. Peut-être même que plusieurs sortes de Luca sont arrivées sur la terre et qu’une seule cellule s’est acclimatée. Mais ce ne sont que des hypothèses, qui pour l’instant demeurent des énigmes. C’est un grand mystère.

La seule manière de l’élucider serait de trouver quelque chose qui ressemble à la vie sur terre, sur une autre planète, dans un lac gelé dans les profondeurs de Mars par exemple. Mais encore faudrait-il être sûr que la vie ne soit pas arrivée d’ailleurs dans le cosmos. C’est une quête sans fin.

Comment les différentes cellules se sont-elles développées à partir de Luca ?

L’évolution de la vie est étroitement liée à celle de notre planète. La Terre a été transformée par la vie. On pense généralement à l’inverse et pourtant… Ce sont les cellules – des bactéries photosynthétiques – qui ont, par exemple, commencé à produire l’oxygène sur la planète il y a plus de 2 milliards d’années et bouleversé à la fois la géochimie et les formes du vivant. Luca, la cellule ancestrale a eu des descendants qui sont les bactéries et les archées puis, beaucoup plus tard, il y a plus d’un milliard d’années, les eucaryotes. Ces dernières sont les types de cellules qui constituent les animaux – dont l’homme –, les plantes, les algues, les champignons et les protistes, ces êtres unicellulaires comme les levures ou les amibes. Mais il est possible que d’autres types de cellules aient existé et aient depuis disparu.

À partir d’une cellule assez simple, mais versatile, de nouveaux types de cellules sont donc apparus. Ils se sont ensuite associés en organismes multicellulaires plus ou moins complexes, jusqu’aux animaux et aux plantes.

Le titre de l’un des chapitres est « La vie est un réseau social de cellules ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Aucune cellule n’existe seule. Chaque cellule est dans un véritable réseau social d’interaction avec ses semblables. Nous-mêmes sommes habités par des milliards d’autres cellules : des bactéries, des archées, des champignons, des protistes… Désormais, le grand public connaît bien le microbiote, qui est un ensemble de micro-organismes qui vivent dans notre intestin et sur notre peau, et qui est essentiel à notre survie. Le corps humain est de ce fait ce que l’on appelle un holobionte : il est constitué d’organismes différents qui vivent ensemble.

Autre exemple : la fertilité des sols est très dépendante de la présence et de l’agencement de bactéries, de champignons, d’animaux… Tous jouent un rôle essentiel au sein de cet écosystème terrestre complexe.

On découvre, dans votre livre, que les virus ne deviennent véritablement vivants que quand ils rentrent dans une cellule. Comment est-ce possible ?

Les virus sont des parasites. Ils ne sont pas capables de se reproduire par eux-mêmes. Or, la définition du vivant est justement qu’il faut pouvoir se reproduire. En revanche, dès que le virus pénètre dans une cellule, il arrive très bien à se reproduire en utilisant la machinerie de la cellule infectée. C’est pour cela que nous faisons une distinction sémantique.

Vous expliquez qu’il existe une mort programmée des cellules.

Oui, c’est un phénomène qui a été observé notamment chez les embryons. Certaines cellules, à des moments précis du développement, disparaissent pour laisser la place par exemple à un organe qui se forme. C’est un processus programmé. L’espérance de vie des cellules humaines est autour d’une quarantaine ou d’une cinquantaine de divisions. À chacune d’entre elles, la cellule perd un petit morceau du bout des chromosomes. Avec le temps et l’exposition à tout un tas de facteurs environnementaux, les chromosomes ne peuvent plus perdre leurs bouts et la cellule meurt.

Les cellules embryonnaires, les cellules souches ou encore les cellules cancéreuses sont quant à elles capables de faire beaucoup plus de divisions. C’est ce que l’on a découvert avec les cellules HeLa. Elles ont été prélevées dans les années 1950 chez Henrietta Lacks une patiente afro-américaine atteinte d’un cancer du col de l’utérus. Ce sont des cellules tumorales qui peuvent être cultivées indéfiniment.

Quelles sont les spécificités des cellules cancéreuses ?

Nos idées ont évolué. Dans les années 1970, on était persuadé que les cancers étaient d’origine virale. C’est le cas de certains, comme avec le papillomavirus, mais cela ne représente pas la majorité des cancers. Aujourd’hui nous avons une vision beaucoup plus globale. Nous savons qu’il existe différents types de cellules cancéreuses et qu’elles s’affranchissent de certaines barrières et se divisent rapidement pour proliférer. Elles arrivent aussi à contrecarrer leur vieillissement, en particulier en utilisant certaines enzymes pour limiter la perte des bouts de chromosomes.

Que reste-t-il à découvrir sur les cellules ?

Nous comprenons certaines règles d’organisation. La génétique par exemple a permis d’appréhender les mécanismes de transmission de l’information d’une cellule à une autre. Mais nous ne savons pas encore quelles sont les règles de l’auto-organisation des molécules dans les cellules. Nous n’en connaissons pas encore le code. La recherche est très active pour tenter de le découvrir.

Propos recueillis par Léa Vandeputte / © C I E M

Les cellules, une histoire de vie, Christian Sardet, éditions Ulmer, 224 pages, 35 euros.


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