Guillaume Fond : « Le microbiote communique directement avec le cerveau »

Spécialiste du lien entre psychologie et microbiote, le docteur Guillaume Fond explique, dans son dernier livre Bien manger pour ne plus déprimer aux éditions Odile Jacob, que ce que nous mangeons a une influence sur notre santé mentale. Il délivre aussi des conseils pratiques pour adapter notre mode d’alimentation et ainsi allier plaisir et bien-être.

Guillaume Fond est médecin psychiatre et chercheur aux hôpitaux universitaires de Marseille. Il enseigne également à la faculté de médecine de la Timone et est conférencier et formateur auprès de l’Agence nationale du développement professionnel continu.

Vous expliquez dans votre livre que la santé mentale est influencée par notre alimentation. Comment ?

Guillaume Fond. Le lien entre intestin et cerveau a été popularisé dans les années 2015 avec l’explosion de l’intérêt du grand public pour le microbiote. En 2009, nous avons développé de nouvelles techniques d’analyse et, depuis, de nombreuses expériences de laboratoire avec des rats ont montré que les bactéries de l’intestin influencent le cerveau. Bien sûr, nous ne pouvons pas faire les mêmes expériences chez l’être humain mais nous avons des démonstrations indirectes que l’alimentation peut augmenter ou, à l’inverse, protéger du risque de dépression ou d’anxiété par exemple. Plusieurs mécanismes entrent en jeu. L’alimentation va influencer les bactéries de notre intestin : deux semaines seulement après avoir changé d’alimentation, nous observons des modifications durables dans les bactéries du tube digestif. Celles-ci vont notamment favoriser la protection, au niveau immunitaire local, de l’intestin. Quand il y a des dysfonctions du microbiote, la perméabilité de l’intestin augmente, ce qui crée de l’inflammation et perturbe les autres organes y compris le cerveau. Les bactéries ont également des fonctions d’extraction des nutriments issus de l’alimentation qui sont ensuite utilisés par le cerveau pour la synthèse de ses propres neurotransmetteurs. Il y a d’ailleurs aussi une synthèse de neurotransmetteurs directement au sein de l’intestin : 95 % de la sérotonine, l’hormone du bonheur, s’y trouve. Toutefois, il reste encore à savoir si cette synthèse influence le cerveau ou pas, les chercheurs sont en train d’explorer cette piste.

Peut-on dire que le microbiote agit directement sur notre cerveau ?

G. F. Il existe un mécanisme par lequel le microbiote communique directement avec le cerveau : le nerf vague, qui est le plus long nerf de l’organisme. Quatre-vingts pour cent des informations qui y circulent sont ascendantes, c’est-à-dire qu’elles vont de l’intestin vers le cerveau. Ce dernier traite donc en permanence des informations inconscientes qui proviennent de l’intestin. Celles-ci circulent aussi dans l’autre sens puisque le cerveau stressé va libérer du cortisol, l’hormone du stress, ce qui va augmenter la perméabilité de l’intestin et former un cercle vicieux : les personnes stressées souffrent souvent de troubles intestinaux et nous savons que les maladies intestinales augmentent le risque d’anxiété et de dépression.

Quels aliments privilégier pour préserver sa santé mentale ?

G. F. Le meilleur mode d’alimentation pour la santé mentale est le régime méditerranéen, très proche du régime flexitarien. C’est aussi le plus facile à mettre en place. Riche en fibres et en oméga 3, il privilégie les fruits et légumes frais, les légumineuses, les céréales complètes, le poisson et la viande mais en petite quantité. Il est anti-inflammatoire, protège le microbiote et limite la réaction de défense de l’organisme face à l’agression. À l’inverse, le pire des régimes est le régime occidental qui est trop calorique, bourré de sucres rapides, de graisses saturées et de produits ultratransformés. Tout ceci est extrêmement inflammatoire. Il a été démontré que ce type d’alimentation est un facteur prédictif de dépression : même si on n’en souffre pas, on augmente son risque d’un tiers avec ce régime. Il faut savoir, qu’en 2015, 7 % de la population française souffrait de dépression et qu’un Français sur cinq fera un épisode dépressif au cours de sa vie. Changer d’alimentation n’est pas seulement curatif, pour améliorer la dépression, mais aussi préventif.

Est-ce que les générations précédentes, qui ne connaissaient pas le régime occidental, avaient une meilleure santé mentale ?

G. F. L’évaluation de la santé mentale des populations est assez récente. En France, la première enquête épidémiologique sur le sujet date de 2005. Elle a été reproduite en 2015 et nous avons constaté une augmentation de la prévalence de la dépression de 2 %. Mais il est difficile de savoir si nos grands-parents par exemple, souffraient plus ou moins de dépression. L’hypothèse serait que leur alimentation était meilleure mais qu’ils ont sans doute été plus exposés aux traumatismes dans l’enfance : Seconde Guerre mondiale, abus sexuels, violences, maltraitances… J’ai tendance à penser aussi que leur santé mentale n’était pas meilleure que la nôtre car les psychothérapies n’étaient pas développées et que l’on parlait moins des troubles psychiatriques.

Avez-vous constaté un impact de la pandémie de Covid sur notre alimentation et donc sur notre moral ?

G. F. Il y a une explosion de l’obésité, ce qui est le signe d’une mauvaise qualité alimentaire et d’une sédentarité mais c’est aussi un marqueur dans le corps d’une santé mentale dégradée. Aujourd’hui, un quart des adultes en France sont en situation de surpoids ou d’obésité. Il existe une relation très forte entre le surpoids, l’obésité, la dépression et l’anxiété. Être en surpoids signifie que l’on a un microbiote dysfonctionnel, inflammatoire, notamment quand l’obésité est abdominale, c’est-à-dire autour des viscères. La graisse périviscérale libère des facteurs immunologiques qui perturbent le fonctionnement des organes et du cerveau.

Quand on se sent stressé ou déprimé, comment peut-on savoir si cela vient de son alimentation ?

G. F. Il est toujours très complexe pour un individu de connaître la cause de sa dépression car elle est souvent multifactorielle. Il est très rare d’avoir juste une mauvaise alimentation isolée et, qu’à côté, la personne pratique un sport, ne fume pas, ne vive pas dans un environnement toxique ou encore, ne soit pas issue d’une famille à prédisposition de dépression. Mais dans tous les cas, le fait de changer son mode de vie sera bénéfique.

Aujourd’hui, est-ce que vous prescrivez des modifications alimentaires en plus des médicaments ?

G. F. Le fait de prescrire un antidépresseur va permettre à la personne de sortir de la dépression plus rapidement mais si on laisse en place les facteurs d’entretien de la maladie, on augmente le risque de rechute ou de devoir prendre des antidépresseurs à vie. Quelle que soit sa situation de santé, nous avons tout intérêt à choisir l’alimentation méditerranéenne. Mais même en l’adoptant, il est compliqué d’atteindre le quota nécessaire d’oméga 3, qui sont des acides gras essentiels que notre corps ne peut pas synthétiser. En pratique, je supplémente systématiquement tous mes patients au long cours pour atteindre les apports recommandés. Par ailleurs, 80 % des Français sont carencés en vitamine D l’hiver. C’est une hormone stéroïdienne qui a une action au niveau immunologique. Pour atteindre les apports quotidiens, il faut vraiment s’exposer au soleil plusieurs heures par jour donc je recommande à mes patients la supplémentation pendant au moins trois mois à partir d’octobre-novembre.

© C i E M / Propos recueillis par Léa Vandeputte

Le docteur Guillaume Fond a la charge de la grande étude Alimental des hôpitaux universitaires de Marseille et de l’APHM qui s’intéresse aux liens entre alimentation et santé mentale (https://bit.ly/alimentalAPHM). Celle-ci cible particulièrement les populations à risque de dépression (étudiants, soignants, patients suivis en psychiatrie et leurs proches). Les résultats de cette enquête devraient paraître début 2023.

Pour en savoir plus :

Bien manger pour ne plus déprimer. Prendre soin de son intestin pour prendre soin de son cerveau, de Guillaume Fond, Éditions Odile Jacob, 272 pages.


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