L’être humain passe près d’un tiers de sa vie à dormir, un temps de repos en déclin qui n’est pas sans conséquences sur la santé physique et psychique. En réaction, les progrès scientifiques et les innovations s’emparent du sujet avec un objectif : améliorer nos nuits.
Le manque de sommeil est-il le mal du siècle ? Dormir est un besoin fondamental, et pourtant, on y consacre de moins en moins de temps. Selon Santé publique France, un Français dort en moyenne 6,42 heures, c’est moins que les 7 heures minimales quotidiennes habituellement recommandées pour une bonne récupération.
Le sommeil, un besoin vital
En tant qu’être diurne, l’être humain est génétiquement programmé pour être actif le jour et se reposer la nuit. L’horloge biologique gouverne l’alternance veille-sommeil et se synchronise principalement grâce au rythme social et à la lumière. Le sommeil désigne une baisse de l’état de conscience qui sépare deux périodes d’éveil et se divise en différentes phases, chacune étant essentielle au bon fonctionnement de l’organisme. Le sommeil lent léger, durant lequel le rythme cardiaque et la respiration ralentissent, joue un rôle important dans la récupération physique de l’organisme et du cerveau. Le sommeil lent profond permet lui aussi une régénération et un « nettoyage » du corps et du cerveau (libération d’hormones, consolidation de la mémoire, élimination des toxines). Le sommeil paradoxal enfin, associé aux rêves, participe au tri des souvenirs et à l’assimilation de nouvelles connaissances. Un cycle de sommeil correspond à la succession de phases de sommeil lent léger, profond et paradoxal. Il dure entre 90 et 120 minutes et se répète
3 à 5 fois par nuit (voir schéma ci-dessous).
Manque de sommeil : quels effets sur la santé ?
« Le sommeil est crucial pour de nombreuses fonctions biologiques. En manquer est par conséquent néfaste pour la santé », soutient le Dr Didier Cugy, spécialiste du sommeil à Bordeaux et membre de l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV). Être en dette de sommeil augmente en effet le risque d’hypertension, de maladies cardiovasculaires et d’accidents. Cet état augmente également les troubles de la mémoire et de l’humeur (irritabilité…).
Passé 50 ans, dormir moins de 5 heures par nuit accroît de 20 % le risque de développer une maladie chronique, selon une étude de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et de l’université Paris Cité.
Le Dr Cugy établit même un lien entre manque de sommeil et surcharge pondérale : « Comme le sommeil régule les hormones comme la leptine (hormone de la satiété) et la ghréline (hormone de la faim), la réduction du temps de sommeil peut avoir un impact sur la prise de poids. »
Réapprendre à bien dormir
Pour un sommeil optimal, oubliez certaines mauvaises habitudes. Les médecins du sommeil recommandent de maintenir des horaires de lever et de coucher réguliers, de s’exposer à la lumière naturelle, d’éviter les dîners trop copieux et de privilégier une activité calme le soir. Il convient aussi d’aménager sa chambre en maintenant le silence, une température entre 18 et 20 °C et l’obscurité. Enfin, une à deux heures avant le coucher, les écrans sont à bannir. « L’éclairage des écrans agit sur les cellules de la rétine impliquées sur la régulation du cycle veille-sommeil et dérègle l’horloge interne, explique le spécialiste de l’INSV. Elle focalise l’attention et stimule le processus attentionnel, ce qui a tendance à freiner l’endormissement. »
L’usage des écrans est aussi mis en cause chez les personnes souffrant d’apnée du sommeil, syndrome qui se caractérise par des interruptions fréquentes de la respiration durant le sommeil et qui concerne 5 % de la population. « Dans 30 % des cas, elle s’explique par une mauvaise position du cou, principalement liée à l’utilisation quotidienne des smartphones, constate Didier Cugy. De simples séances de kinésithérapie suffiraient donc à apaiser les nuits. »
Il faudrait également selon le spécialiste « apprendre à connaître son rythme et être à l’écoute des signes adressés par notre corps, comme les bâillements, les paupières lourdes ou encore les étirements ». Il ajoute en se voulant rassurant : « l’homéostasie, c’est-à-dire le phénomène de régulation qui permet le maintien des différentes constantes physiologiques dans le corps (comme la température par exemple), fait que l’individu en manque de sommeil finira forcément par s’endormir ».
Troubles du sommeil : comment les détecter ?
Peur d’aller au lit, insomnie, somnambulisme, narcolepsie, apnée du sommeil, cauchemars chroniques… les troubles liés au sommeil sont nombreux et toucheraient un Français sur trois. Certains symptômes comme les ronflements, un sommeil agité, des troubles de la respiration ou encore une somnolence en journée doivent alerter et inviter à en parler à son médecin.
La polysomnographie, par exemple, permet d’analyser la qualité du sommeil d’un individu. « Appelée aussi examen du sommeil, cette méthode consiste à enregistrer à l’aide d’électrodes placées au niveau du crâne et de différentes parties du corps les principaux paramètres vitaux (activité du cerveau, tonus musculaire, respiration, oxygénation du sang, fréquence cardiaque, activité oculaire…) afin d’établir l’architecture du sommeil et détecter d’éventuels troubles », explique le spécialiste.
Cet examen diffère de la polygraphie de ventilation nocturne, utilisée en cas de suspicion de troubles respiratoires du sommeil et qui n’étudie que les paramètres respiratoires (effort, flux respiratoires, oxygénation du sang).
Anxiété et sommeil : le duo perdant
Quand on parle de troubles du sommeil, la santé mentale est également à considérer. L’enquête « Sommeil, croyances, santé mentale et écoanxiété » (INSV/MGEN 2023) met notamment en évidence la réciprocité entre les troubles anxiodépressifs et les problèmes de sommeil. « Trente pour cent des personnes dépressives souffrent d’insomnies et 23 % des insomniaques souffrent de dépression », pointent les spécialistes. « Face aux stress sociaux et à la pensée compulsive, l’interaction sociale est un des meilleurs traitements », atteste le Dr Cugy qui défend les effets de la parole. L’écoanxiété, c’est-à-dire l’angoisse liée aux crises environnementales, serait également impliquée dans la hausse de l’insomnie chez les jeunes adultes.
Même constat du côté de l’Inserm qui confirme que l’insomnie chronique – qui se définit comme des difficultés d’endormissement et des réveils nocturnes de plus de 30 minutes se répétant au moins trois fois par semaine durant trois mois – survient, dans la moitié des cas, en période de dépression ou d’anxiété.Elle toucherait un Français sur 5. Dans ce contexte, les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) apparaissent pour l’Inserm comme une des solutions. Il s’agit d’une série de séances au cours desquelles les notions d’hygiène du sommeil et les croyances erronées sur le sommeil sont notamment abordées. La relaxation peut éventuellement y être associée. L’objectif est de casser le cercle vicieux qui consiste à se coucher angoissé parce qu’on ne parvient pas à s’endormir. « Cependant, elles sont encore sous-utilisées en France, notamment parce qu’elles ne sont pas prises en charge par l’Assurance maladie » considère l’Institut.
L’innovation à la rescousse ?
Parce que le sommeil influe sur notre santé, la science cherche par tous les moyens à en améliorer la qualité. Des chercheurs de la faculté de médecine de Genève, par exemple, ont tenté d’éradiquer les mauvais rêves en les transformant en scénarios positifs et en y associant des notes de musique. Grâce à cette méthode qui combine deux techniques de conditionnement, à savoir la thérapie par répétition d’images et la réactivation ciblée de la mémoire, ils sont parvenus à diminuer la fréquence des cauchemars. « Au début du XXe siècle, avec les découvertes liées à l’utilisation de l’électroencéphalogramme – méthode qui permet de mesurer l’activité électrique du cerveau par le biais d’électrodes –, le sommeil et l’analyse de ses rythmes sont vite devenus un objet d’étude.Tombé en désuétude il y a 40 ans, il suscite aujourd’hui un regain d’intérêt, constate Didier Cugy, porté par la technologie, la miniaturisation »,ou même l’intelligence artificielle (IA). Tous les moyens technologiques sont bons pour tenter de retrouver un sommeil réparateur, à l’instar de cet oreiller connecté gonflable qui réagit au bruit et repositionne la tête du dormeur pour dégager ses voies respiratoires. Une invention primée cette année lors du Consumer Electronics Show (CES), le salon de l’innovation technologique en électronique de Las Vegas.
Des objets connectés « capteurs de sommeil » et de nombreuses applications promettent d’analyser le sommeil pour évaluer sa qualité mais la vigilance reste de mise, alerte le Dr Cugy : « Elles ne prennent pas en compte toutes les données et offrent de fait des résultats biaisés. » Elles sont même à l’origine d’un nouveau trouble nocturne appelé orthosomnie, l’obsession de la nuit parfaite. Le spécialiste reconnaît toutefois que « cet intérêt soudain des innovations pour le sommeil a permis de faire avancer les connaissances dans un secteur où la prévention demeure trop discrète ».
Constance Périn
Pour aller plus loin :
https://institut-sommeil-vigilance.org
https://reseau-morphee.fr