Les médias sociaux ont transformé la sexualité, de la rencontre aux pratiques sexuelles, en passant par la notion d’intimité, et par conséquent, la prise en charge en santé sexuelle, du soin à l’information et l’éducation. Qu’en penser ?
En 2021, 4,2 milliards d’êtres humains naviguaient sur les réseaux sociaux, soit plus de la moitié de la population mondiale et 80,3 % des Français disposaient d’un compte sur les réseaux sociaux. « L’explosion des médias sociaux amène à repenser de nombreux paradigmes de la santé sexuelle, expliquait le Dr André Corman, médecin sexologue et andrologue aux Journées francophones de sexologie et de santé sexuelle*. Aucun pan de l’expérience humaine n’échappe en effet à l’emprise de la « connexion » : la manière de consommer, de s’informer, de travailler, mais aussi de « draguer », ou même de s’érotiser et de jouir. » La particularité de la jeunesse est qu’elle se situe au cœur de ce vaste renouvellement des formes de socialité ; ce sont les premières générations humaines à se construire ainsi. Or, avec les réseaux sociaux, « le jeune se trouve seul, en réseau, sans tuteurs de médiation et sans repères historiques », ajoute-t-il, soulignant « toute l’importance d’un accompagnement éducatif aux modalités particulièrement complexes ».
Souvent un frein vis-à-vis de l’éducation à la sexualité
La construction de la sexualité va s’opérer par un accès libre à un contenu sexuel illimité, que ce soit sur le plan d’une multitude d’informations portant sur la sexualité mais aussi la facilité à consommer, échanger, ou produire du matériel pornographique sans discernement. Dans bien des cas, cet accès facile à du contenu sexuel de provenance « inconnue » peut être une richesse et « l’optimiste pourrait dire que les médias sociaux visent à déconstruire les stéréotypes sexuels, permettant désormais à chaque individu de questionner sa propre sexualité et, pourquoi pas, d’explorer une sexualité jusqu’ici contenue, reconnaît André Corman. Néanmoins, le manque d’informations claires et scientifiquement fondées de l’éducation sexuelle en ligne peut conduire à propager de la confusion et de l’anxiété sur la sexualité. »
Avec les réseaux sociaux, la division privé/intime et public est remplacée par le dualisme vie médiatisée/vie ordinaire, avec de multiples conséquences en santé sexuelle. Par exemple, quand les ados s’échangent des photos « intimes », persuadés que ça restera entre eux et, du reste, c’est ce partage du secret qui est le principal moteur de l’excitation. « L’intime désigne ce que j’offre à autrui de mon propre gré, donc ce que je peux garder secret et dissimuler. Ce qu’ignorent ces adolescents, c’est qu’en s’exposant, l’intime perd ainsi son pouvoir protecteur », prévient le Dr Corman. 10 % de ces photos seront partagées ou transférées, notamment dans le cadre de harcèlement ou du Revenge porn.
Pour le spécialiste, « la fulgurante importance des médias sociaux rend plus que jamais nécessaire un accompagnement éducatif qui doit préférentiellement s’opérer par le même canal : les médias sociaux ». Deux conditions à cela : que la démarche soit réellement « scientifique » et que l’on apprenne aux individus – en premier lieu à l’école – la capacité à aborder avec un esprit critique les informations véhiculées par les médias contemporains comme, par exemple Internet ou les réseaux sociaux.
* Du 8 au 10 septembre 2022 à Montpellier.
© C i E M / Hélène Joubert